Gian Piero de Bellis

Polyarchie : un Manifeste

(2004)

 


 

Partie III

le Présent / Futur


36. La crise de l'étatisme

37. La crise morale

38. La crise matérielle

39. La crise politique

40. La nouvelle réalité

41. Les nouvelles semences

42. Le nouveau paradigme

43. Les nouvelles conditions requises

44. Le nouveau scénario

45. La Polyarchie

46. Principes

47. Protagonistes

48. Processus

49. Considérations finales

 


 

36. La crise de l'étatisme (^)

Vers la fin du XX siècle, l'étatisme est entré dans une crise terminale dont il semble qu'il ne puisse sortir. Ceci parce que l'état, en soi, son existence et sa survie, sont devenus le Problème, c.-à-d. la source vraie de la majeure part des problèmes. Et comme la solution d'un problème consiste à dépasser le problème lui-même en éliminant la source, ainsi la solution de la crise de l'étatisme consiste d'aller au-delà de l'étatisme à travers la progressive extinction de l'état.

Trop d'espoirs et de convictions concernant l'état et trop de personnes fascinées par l'état sont devenues trop coûteuses pour être maintenues plus avant. Le prix est trop élevé en termes de corruption morale, faillite matérielle et pure idiotie politique.

Examinons les principaux aspects de la crise que l'on peut classifier en trois domaines :

- Crise morale

- Crise matérielle

- Crise politique

 

37. La crise morale (^)

Le signe plus évident de la crise morale de l'étatisme est son manque total de valeurs progressistes. Après l'éboulement de faux principes comme le sens de la patrie, l'orgueil racial, l'héroïsme militaire, ceux-ci ont été remplacés par d'autres messages mensongers condensés dans des mots attrayants du genre "l'intérêt public" ou le "bien collectif" qui sont des formules commodes pour masquer le saccage et le vol de la part des groupes parasitaires.

Rien ne constitue un meilleur exemple de la faillite morale de l'état que la substitution complète de la moralité par la légalité. Le fonctionnement de la société est considéré comme une mise en œuvre de toutes sortes de réglementations et de restrictions imposées par l'état et non comme la libre interaction d'êtres humains doués de moralité et de rationalité. Le résultat est que les états qui ont plus de contrôles et de dispositions de police sont aussi ceux qui présentent le plus grand désordre et mal être social. Comme le drogué voit dans la prise continuelle de drogues la solution à ses problèmes et ne veut pas reconnaître que la prétendue solution n'est rien d'autre que l'élargissement et l'approfondissement ultérieurs du problème, ainsi cela se passe pour l'étatisme quand il se fait chantre de toujours plus de réglementations et restrictions.

Un autre indicateur de la crise morale est de croire au pouvoir thaumaturge de l'argent. L'étatisme juge que l'argent peut résoudre n'importe quel problème qui dérive de n'importe quelle situation en tout temps et en tout lieu. Le résultat en a été la multiplication et l'intensification de problèmes moraux, avec la formation et l'insertion de puissants groupes mafieux et de petits criminels comme sous-section de l'état.

Sous la domination de l'étatisme, il semble qu'il n'y ait pas de limite à la folie juridique (les injustices de la soi-disant "justice") et au gaspillage d'argent (par exemple : la soustraction ou le mauvais usage des ressources financières), surtout quand l'avantage de puissants intérêts parasitaires est maquillé comme intérêt public général. Sous cet aspect, au moins, le capitalisme offrait une vision moins hypocrite et plus sincère quand il prétendait, à tort ou à raison, que l'intérêt particulier aurait agi finalement pour le bien de la collectivité. De façon plus rusée, l'étatisme, de manière trompeuse, fait passer les intérêts sectoriels ou strictement égoïstes comme intérêts publics généraux.

Mais la différence principale entre les deux est que, alors que le capitalisme était une période historique de progrès et d'avancement productif, l'étatisme est une phase historique caractérisée par le parasitisme, et d'aucune façon le parasitisme ne peut jamais être considéré comme intérêt public. En outre, alors que le capitalisme était attentif et économe dans l'usage des ressources, l'étatisme est dépensier et gaspilleur.

Et ce fait nous conduit au deuxième aspect de la crise : la crise matérielle.

 

38. La crise matérielle (^)

L'étatisme a du succès auprès des masses parce que, dans des périodes de profonde misère et de doute (guerre, lutte, famine, chômage, etc.), souvent produites ou provoquées par l'état, l'état lui-même a fourni une sécurité fausse et éphémère ou a donné l'impression d'être la seule organisation capable de rétablir une situation de sécurité.

L'aspect principal de la garantie de sécurité a consisté dans la redistribution des ressources matérielles (biens) que des entrepreneurs, inventeurs et travailleurs ont généré précédemment au travers de la mécanisation puis de l'automatisation.

La redistribution des ressources a été le coup de génie de l'étatisme, mais elle aurait pu aussi jouer un rôle déterminant dans sa fin. En fait elle a créé des expectatives toujours plus grandes de la part d'un nombre toujours plus grand de personnes. Cela a multiplié le parasitisme et l'occupation parasitaire à un niveau jamais connu de mémoire d'homme. Au même moment elle a donné aux gens des raisons artificielles de se croire en train d'accomplir des travaux utiles, essentiels dans une société moderne ou en train d'occuper des rôles défendables dans une société de progrès.

Avocats, comptables, notaires, employés de l'état, assistés, etc., la majeure part de ceux-ci appartiennent à un magma fait d'illusions présentes et de probables désillusions futures. Ils font, directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, partie d'une vaste bureaucratie ou, en d'autres termes, une énorme parasitocratie.

Pour alimenter et soutenir cette parasitocratie, les états, partout dans le monde, ont accumulé des dettes énormes qu'ils transmettront en héritage aux générations futures. Pour tenir la façade debout et éviter qu'elle ne s'écroule, les états se sont empressés de vendre des biens et des entreprises raflées ou monopolisée, et de lancer les jeux (loteries, tombolas et toutes sortes de concours avec des prix); ils poussent comme jamais au consumérisme, de façon à tenir ouvert le flux des sources fiscales.

A n'importe quel être humain libre et raisonnable l'état apparaît, toujours plus, comme un racket tentaculaire basé sur l'extorsion et la fraude.

C'est un désastre matériel et moral.

L'échafaudage s'écroulera quand la perception d'une crise morale et matérielle sera encore plus palpable et compliquée par une crise politique ; la découverte, finalement, que le roi, non seulement est complètement nu, mais encore qu'il est flasque et difforme.

 

39. La crise politique (^)

Le voile de fiction qui couvrait et soutenait la démocratie représentative est finalement tombé.

La démocratie parlementaire représentative devrait se définir de façon plus appropriée comme étatocratie manipulatrice totalitaire, vu que l'état est intervenu pour réglementer (ou a essayé de réglementer ) n'importe quel aspect de la vie des personnes, y compris l'autorisation de boire des boissons alcooliques de la part de personnes adultes, et de pratiquer des rapports sexuels consensuels.

Quelle que soit la manière de transformer le système électoral, ce système n'est plus représentatif, à supposer qu'il n'ait jamais été par le passé, de la volonté de la majorité, confié à des délégués honnêtes et fiables, et traduit par ces derniers en réalités grâce à des mesures appropriées et bien étudiées.

En effet, aussi dans le passé, ce portrait idéal de la démocratie représentative ne correspondait pas à la réalité, du fait qu'une majorité de personnes élisait un groupe restreint et acceptait, de manière passive et sans interférences, d'être administrée par eux.

Maintenant on en est arrivé au point où une minorité de la population élit et délègue le tout à un cercle encore plus exigu de personnes. A ce point, la vieille foi dans le processus électoral comme expression de la volonté de la majorité, apparaît non seulement comme fictif, mais comme une farce.

La confiance dans les consultations électorales s'est écroulée. L'urne des votes est devenue une urne vide.

La crise de la démocratie représentative est une crise de la politique "tout court", ou de la politique comme elle a agi pendant la période de l'étatisme, c.-à-d. faite de partis, courants, groupes de pression, tous occupés à vendre des votes, à vêtir des masques de complaisance, à produire des rideaux fumigènes, à fabriquer des mensonges, en manipulant l'esprit des gens, de manière continue et croissante, jusqu'à la nausée totale.

Et maintenant il y a une telle frustration et malaise dans la politique que quiconque se présente et semble dire quelque chose de nouveau, avec un ton de voix nouveau et une nouvelle attitude, réussit à attirer l'intérêt et à être suivi, du moins pour quelque temps.

Mais la voie de sortie de ce désordre total n'est plus (à compter qu'il ait jamais été) dans les prêcheurs ou les disciples de nouveaux Évangiles.

La voie de sortie réside, avant tout, dans un réveil personnel et dans la prise de conscience personnelle d'une nouvelle réalité et avec les semences d'un pouvoir naissant, de la part des individus. Cette nouvelle réalité est en train de germer et de croître.

 

40. La nouvelle réalité (^)

La nouvelle réalité expose, dans de nombreuses façons subtiles mais substantielles, à tous ceux dont les yeux ne sont pas aveuglés par des intérêts constitués, la décadence et l'obsolescence de l'état.

L'état bat en retraite, partout, sur tous les fronts. Comme producteur de services essentiels en régime de monopole, l'état a dû abandonner son rôle au milieu d'une masse énorme de dettes fruit d'une gestion incompétente. Comme distributeur paternaliste de ressources publiques, l'état marche vers la banqueroute, car la croissance des ressources n'égale pas la croissance de la part des expectatives et des exigences. Comme contrôleur de la vie des individus l'état est totalement impuissant à part dans les réalités culturelles pauvres et les sociétés technologiquement arriérées.

De nombreuses tâches et pouvoirs qui ont été des prérogatives de l'état national ont été assumés par des organisations internationales ou reconquises par des communautés locales.

L'état national est écrasé autant par le haut, (globalisme) que par le bas (localisme); il et est en train d'être progressivement et finement émietté par l'action concomitante de ces deux puissantes mâchoires.

Certainement, l'état et les couches parasitaires qui y sont liées ne s'en iront pas tranquillement, sans opposer de résistance.

Les rentrées fiscales perdues dans un secteur seront balancées par un fiscalisme plus oppressif dans un autre secteur (par exemple en réduisant la taxation directe et en augmentant, même doublant, les taxes indirectes). La main droite reprend ce que la main gauche a perdu ou a dû céder.

La réalité présente de nombreuses faces. Par exemple, dans le cas du contrôle étatique, cette même année 1989 pendant laquelle on a vu s'écrouler le mur de Berlin et la dissolution des états policiers de l'Europe de l'Est, on a assisté au massacre de la place Tien-an-men à Pékin et au renforcement de la domination de l'état chinois. La même année a toutefois vu également l'entrée en scène du World Wide Web, qui a sonné le glas pour toute tentative future de contrôle ou de délimitation de frontières de la part de l'état.

Donc, même avec des hauts et des bas, cette entité toujours plus inutile et dangereuse qu'est devenue l'état, est en train de lutter en vain contre les nouvelles semences qui ont été plantées par la créativité et le courage des êtres humains dans le monde entier. Ces nouvelles semences sont en train de rendre l'état superflu et de précipiter le moment où celui-ci s'éteindra et ne sera plus qu'un souvenir d'époques passées.

 

41. Les nouvelles semences (^)

Même pendant la période où l'étatisme était en phase croissante, de nouvelles semences étaient plantées qui à long terme allaient décréter sa fin.

Tout cela a un rapport, comme il arrive souvent dans l'histoire, avec le dépassement des frontières réelles ou artificielles. De nos jours, cela se produit avec une rapidité et une ampleur tout à fait remarquable.

Cet aller au-delà des frontières concerne trois aspects principaux qui sont en train de rapprocher les personnes en faisant tomber les barrières. Ces aspects se rapportent à :

- exprimer : les individus sont en liaison et en communication avec le monde entier de manière toujours plus libre, facile et économique ;

- explorer : les individus se meuvent partout dans le monde naviguant et voyageant matériellement et virtuellement ;

- échanger : les individus font des échanges au niveau mondial, donnant et recevant non seulement des biens matériels, mais aussi des idées et des expériences.

A travers cet exprimer/explorer/échanger universel, les êtres humains et les communautés dont ils font partie sont en train de se mouvoir lentement au-delà des nations et des états, au fur et à mesure qu'ils deviennent toujours plus familiers avec les diverses cultures et les différents lieux et sociétés au travers desquelles ils passent, s'arrêtent, vivent, commercent, interagissent.

En effet, ce n'est pas l'exprimer/explorer/échanger en soi qui soit si important et digne d'être noté et pas non plus le fait que cela soit en train de se faire dans des proportions jamais vues, mais tout ce que cela peut et est déjà en train d'apporter, c.-à-d. le développement d'un nouveau paradigme théorique et pratique.

 

42. Le nouveau paradigme (^)

Une nouvelle réalité qui apparaît à la suite de la germination de nouvelles semences d'opportunités doit être accompagnée par l'apparition d'un nouveau paradigme, c.-à-d. par un nouveau mode de voir la réalité et d'en saisir les possibilités.

Ce nouveau paradigme conçoit le monde comme un ensemble composé de petites communautés connectées entre elles et qui coopèrent au lieu de blocs monolithiques séparés (les états nationaux) en lutte l'un avec l'autre.

Le nouveau paradigme se base sur les concepts de :

- micro : à travers la communication, l'espace se rétrécit et le temps s'abrège ; les personnes peuvent être virtuellement quasi partout (ubiquité) dans une fraction de temps (instantanéité). La miniaturisation des composants et la réduction des dimensions des instruments vont au même pas que l'augmentation du pouvoir et du champ d'action de l'être humain. Beaucoup d'individus ont déjà à leur disposition des appareils que même les riches ne possédaient pas il y a quelque temps.

- pluri : l'autonomie (empowerment) offerte par ces nouveaux instruments aux dimensions toujours plus réduites, et à des prix toujours plus bas, conduit à la multiplication des centres décisionnels, à la diffusion de la connaissance et du pouvoir qui donne vie à une polyphonie de voix, dans un réseau mondial et universel.

- continuum : cet orchestre universel polyphonique peut être vu comme un réseau continu de communautés dans lesquels les sons (langues), les couleurs (corps), les goûts (attitudes), et d'autres encore, s'unissent et se confondent comme dans un spectre gradué et varié. Pour cette raison, les entités qui composent un monde relié à un réseau de rapports ne doivent plus être vus comme dualités en opposition à l'intérieur des frontières séparatrices mais comme pluralités interconnectées et coopérantes entre elles dans un continuum sans frontières.

En bref, le monde est en train de devenir un réseau planétaire et polyphonique de micro-sociétés, une série ininterrompue de villages habités par des individus et des communautés cosmopolites, en rapport entre eux et ayant responsabilité de leur réalité.

 

43. Les nouvelles conditions requises (^)

Le passage de blocs, gros et monolithiques en conflit entre eux à un continuum de petites entités variées et polyphoniques, reliées entre elles, demande la mise en place de quelques conditions requises et leur continuel affinement.

Ces conditions peuvent être synthétisées comme :

- variété : comme les petites dimensions donne une impulsion à la pluralité, ainsi la pluralité promeut la variété. La variété de situations et d'entités remplace l'uniformité et accompagne l'exigence de versatilité.

- versatilité : signifie flexibilité et adaptabilité dans la réponse à des situations complexes et variées. Cela substitue la rigidité en s'accompagnant au besoin de rapidité.

- rapidité : c'est la promptitude d'intervention, spécialement quand il faut conjurer un désastre, éviter un dégât et remédier à une situation problématique sans être empêchés ou bloqués par un renvoi irresponsable ou par des procédures rituelles inutiles.

Ces conditions de variété/versatilité/rapidité n'ont pas été et ne peuvent pas être réalisées par l'étatisme selon sa façon de penser et d'agir totalement bureaucratique, basé sur des principes antithétiques comme :

- uniformité au lieu de variété

- rigidité au lieu de versatilité

- ritualité au lieu de vélocité

Ces nouvelles conditions qui émergent d'un nouveau paradigme demandent et promeuvent un nouveau scénario.

 

44. Le nouveau scénario (^)

Un déséquilibre est devenu toujours plus visible vers la fin du XX siècle. D'une part nous assistons à une croissance continue du pouvoir des individus d'exprime/explorer/échanger de manière autonome et au niveau mondial, tandis que d'autre part ils sont encore sujets aux constrictions et aux liens imposés par les patrons de l'état et de la bureaucratie. Ce déséquilibre ne peut pas durer.

Un nouveau scénario est déjà en train d'apparaître.

Ce nouveau scénario favorise le développement de la :

- dé-intermédiation : l'accès et l'action directes remplacent l'intermédiaire et la délégation ;

- dé- hiérarchisation : les personnes qui produisent et agissent (les exécuteurs) disposent de toujours plus de connaissance et deviennent ceux qui prendront les décisions (les décideurs) ;

- dé-massification : la production de biens et services individualisés et personnalisés avance pas à pas au même temps que individus et communautés commencent à occuper les rôles centraux au lieu de masses et des classes ;

- dé-concentration : la circulation (de personnes, idées, services) devient possible sans coût supplémentaire et sans désavantage et déséconomie ;

- dé-centralisation : il n'y a plus de nœuds centraux en tant que réseau, c.-à-d. le complexe des liaisons, devient plus important que n'importe quel point spécifique ;

- dé-compartimentalisation : les frontières artificielles reculent et enfin disparaissent ;

- dé-monétisation : les monnaies nationales sont remplacées par des unités électroniques de compensation.

Depuis quelque temps ces aspects du nouveau scénario font partie d'un déplacement du pouvoir qui est en train de se produire de façon souterraine.

Le résultat de ce déplacement est la Polyarchie.

 

45. La Polyarchie (^)

La Polyarchie est l'organisation/diffusion du pouvoir dans l'époque de la communication électronique universelle et de la réglementation cybernétique diffuse.

Alors que le capitalisme se basait sur les machines (capital) et sur la production, l'étatisme sur l'emploi (travail) et le consumérisme, la Polyarchie se fonde sur les activités dans lesquelles les êtres humains, dotés de connaissance et de sagesse, interagissent avec des appareils riches en données et informations dans le but de promouvoir la liberté et le bien-être des individus et de la communauté.

Le fait que la Polyarchie soutienne la liberté (libéralisme) contre les restrictions de la liberté (dirigisme), ne signifie pas qu'elle propose un retour au capitalisme ; et ceci pour de nombreuses raisons morales et historiques. Mais la raison la plus simple est que quelques-unes des composantes qui donnèrent vie au capitalisme (par exemple les instruments mécaniques) n'existent plus. En termes sociaux et technologiques nous sommes allés bien au-delà du capitalisme. Cela veut dire qu'une réalité matérielle mécanique a laissé la place à une réalité virtuelle électronique et le rôle central occupé jadis par le capital (stock de machines) a été occupé par les activités créatives (flux d'idées).

Comme l'étatisme a remplacé le capitalisme, ainsi la Polyarchie est en train de prendre la place de l'étatisme qui a été l'organisation/concentration du pouvoir typique d'un monde dominé par le gigantisme et par la force brute, avec à sa tête une bureaucratie qui étouffait la variété, abolissait la flexibilité et bien souvent, annulait n'importe quel rayon de rationalité.

La Polyarchie est l'organisation propre d'un monde cybernétique composé de :

- noeuds (individus et communautés) ;

- réseaux (toiles d'araignées de communication, coordination, coopération) ;

- parcours (multiplicité de modes de connexion et de formes d'expression).

Elle se base sur l'autonomie des individus et des communautés sur une échelle jamais rejointe précédemment.

Alors que l'étatisme repose sur la division du pouvoir entre les élites, dans un centre, à l'intérieur de l'état, la Polyarchie signifie diffusion et multiplication des pouvoirs, entre individus et communautés, dans le monde entier, sans l'intervention de l'état.

De fait, la Polyarchie, en encourageant la diffusion toujours plus vaste et enracinée de la technologie (par exemple comme communication) et de la conscience (par exemple comme participation) a mis en doute l'idée même de centre et périphérie et certainement celle de sa cristallisation.

A travers la multiplication de centres, la Polyarchie vise à dépasser deux fractures sociales historiques :

- la division centre-périphérie (connue aussi comme division ville-campagne) : chaque communauté doit devenir un nœud actif (un centre) du réseau ;

- la division dominant-dépendant (connue aussi comme division manuel-intellectuel) : chaque individu doit devenir un protagoniste (un acteur) à plein titre dans la communauté et dans le réseau.

Quand et où des divisions de ce type survivent de façon autoritaire et cristallisée, alors cela signifiera qu'on se trouve encore devant la persistance de l'étatisme même s'il est masqué par une phraséologie de convenance.

Outre ce point essentiel représenté par la multiplication des centres, la Polyarchie se base sur des éléments spécifiques concernant les :

- principes

- protagonistes

- processus

 

46. Principes (^)

La Polyarchie soutient les principes de base suivants :

- autonomie : individus et communautés devraient être libres de faire n'importe quelle chose qui ne soit pas expressément déclarée dommageable pour une autre communauté ou d'autres individus. Ceci en contraste avec l'étatisme en général et l'état autoritaire en particulier dans lequel, à travers une prolifération de prohibitions, restrictions et impositions, on avait atteint le point où tout ce qui n'était pas expressément permis était défendu.

- équité : alors que égalité pourrait signifier uniformité, équité vise à la loyauté entre les individus c.-à-d. à une façon d'agir raisonnablement, avec justice et honnêteté.

- responsabilité : l'assistantialisme étatique est mis de côté et substitué par des individus et des communautés qui prennent directement soin les uns des autres et s'aident réciproquement sur la voie de la maturation et de l'indépendance au lieu d'être tenus et entretenus dans un état de continuelle dépendance. Écartant des cas exceptionnels, les rôles de ceux qui prennent soin et de ceux qui sont aidés ne sont pas assignés en permanence aux mêmes individus, comme c'est la règle sous l'étatisme bureaucratique, mais sont tour à tour exécutés par chacun.

La mise en pratique de ces principes de base demande la prolifération et la consolidation de protagonistes nouveaux et actifs en contraste avec de nombreuses figures distantes et indifférentes qui végètent dans l'étatisme.

 

47. Protagonistes (^)

La Polyarchie est l'œuvre de

- individus cosmopolites polyvalents

- communautés multi-culturelles et multi-ethniques.

Ces deux protagonistes donnent vie à une réalité dynamique faite d'un réseau de

- coopératives de production et de distribution ;

- agences civiques locales (au niveau régional et subrégional) qui garantissent les services communs (par exemple la manutention des routes) et l'application de règles de base (par exemple, l'hygiène des aliments).

La distinction entre individus et communauté n'a rien à voir avec la vieille et fausse distinction entre privé et public qui prit origine en son temps comme contraste entre ceux qui étaient exclus de l'accès à des charges étatiques (les privés) et ceux à qui elles étaient garanties en tant que privilèges étatiques (les courtisans, les sycophantes, etc.).

Aussi la distinction entre national (indigène, local) et étranger (différent, étrange) perd toute importance juridique et devient privée de sens, au fur et à mesure que chacun recouvre la liberté de se mouvoir partout, sans que subsistent des barrières imposées par l'état pour empêcher/restreindre le mouvement des personnes.

En fait, avec l'extinction de l'état et de sa bureaucratie, ces fausses distinctions et ces contrastes basés sur l'hostilité disparaissent et sont remplacés par l'interaction des individus et des communautés sur un continuum de connections : de l'individu en voie de développement jusqu'à l'individu pleinement développé, à de nombreux individus, à de petites communautés, à des communautés différentes, à une communauté mondiale composée d'un monde de communautés.

Ces interactions riches et variées entre protagonistes (individus, communautés) animent les processus dynamiques de la Polyarchie.

 

48. Processus (^)

La Polyarchie se base sur des processus d'autorégulation multiples, à différents niveaux interconnectés.

Contrairement à l'étatisme qui se centrait essentiellement sur des processus de décision du haut vers le bas, la Polyarchie repose sur des flux réticulaires (information, décision, action) dans lesquels il n'y a pas de centre visible ou de sommet reconnu et cristallisé.

Les différents niveaux hiérarchiques de l'étatisme doivent être mis de côté de façon à faire place au principe général d'autonomie (auto-administration). Ce principe affirme en toute simplicité que ceux qui sont intéressés à un règlement doivent être les mêmes qui sont concernés dans la formulation de celui-ci.

En outre, des entités polyarchiques, pareillement à des organismes biologiques, sont des entités en activité permanente qui ré-agissent en temps réel aux déséquilibres (à travers des feed-back) et comme organisations pensantes prévoient les problèmes et en anticipent, pour autant que cela soit possible, la solution (à travers une planification du futur).

La réalité présente des aspects si dynamiques que la pratique du délai propre de l'état, pour résoudre les problèmes après qu'ils se sont manifestés, à travers des mesures administratives ou législatives dont la discussion, l'adoption et l'actualisation demande des années (si pas des décennies), apparaît toujours plus fille d'une époque révolue.

Maintenant l'appareil administratif sclérosé de l'état doit faire place aux processus cybernétiques de la Polyarchie. Ces processus consistent dans le développement de nœuds autonomes reliés par des réseaux robustes au travers de parcours rapides et flexibles dans lesquels la variété (des situations) s'accouple à la versatilité (des actions) et à la vélocité (des décisions).

La Polyarchie est un système organisateur approprié pour communiquer/coordonner/coopérer à l'époque de la société réticulaire, dans laquelle des principes moraux remplacent à nouveau des principaux imposés de l'extérieur et où les êtres humains ne sont plus des engrenages dans la machine de l'état, réduits à accomplir le même travail depuis des temps immémoriaux, mais protagonistes d'un nouveau chapitre enthousiasmant de l'histoire universelle.

 

49. Considérations finales (^)

L'esprit dominant du XX siècle a été le mythe de l'état, le protecteur, le dispensateur, l'alma mater des masses dévorées par l'anxiété. L'anxiété a disparu et le mythe s'est effrité. Seul l'état survit mais par force d'inertie.

Nonobstant cela, une intense lutte doit encore être combattue entre l'état d'une part, et d'autre part les êtres humains et les communautés promotrices de la Polyarchie. La bureaucratie étatique essayera, jusqu'à la fin, de frapper et de bloquer l'autonomie avec toute sorte d'armes idéologiques, criant sa litanie contre l'individualisme, l'intérêt 'privé', l'anarchie. Il s'agit du même vieux jeu : répandre la haine et la peur ; promouvoir et alimenter l'irresponsabilité et l'inconscience.

Il trouvera la même vieille clique : le communiste autoritaire, le libéral repenti, le faux anarchiste, le syndicaliste fâché, le nationaliste dévot, tous sous des drapeau respectables (l'anarchie, l'écologie, l'internationalisme, l'anti-autoritarisme). Sous ces drapeaux, ils chercheront à faire passer et à imposer l'habituel charge puante fait de monopolisme, protectionnisme, paternalisme, en un mot l'oppression de la part de l'état. Et comme d'habitude tout cela au nom de ceux qu'ils prétendent défendre (la classe ouvrière, les peuples des pays en voie de développement, etc.) mais qu'ils corrompent moralement et oppriment matériellement.

Les êtres humains et les communautés doivent être et devenir extrêmement conscients de ce rebus idéologique de façon à démasquer ce qu'il cache : l'arrogance, l'avidité et le vil parasitisme de l'état.

Nous devons construire un cheminement qui nous conduise en dehors de ce triangle sans issue élevé par des bureaucrates et politicards, des intellectuels serviles et dégénérés, de faux assistés corrompus. Nous devons mettre fin au parasitisme et à l'exploitation et les remplacer par la production et la coparticipation de chacun aux biens et aux services qui conduisent à un bien-être diffusé.

L'état national se décompose rapidement et nous pouvons percevoir la puanteur intense de sa pourriture dans les nombreux cas de tromperie, corruptions, appropriations indues, injustices et violence qui ont été et sont encore toujours, et toujours plus, pratique courante de ces énormes parasitocraties. Nous devons être fort attentifs à ce qui en prendra la place parce que les parasites sont très malins et savent trouver de nombreuses façons pour maintenir les personnes dans des positions subordonnées, moralement, mentalement et matériellement.

La dynamique patron-serf, égoïsme-altruisme, ne s'arrête jamais. L'entreprise d'émancipation et de libération est une entreprise sans fin.

Aussi la Polyarchie n'est pas la solution définitive. Elle représentera seulement une période de l'histoire. Universalisme et localisme peuvent changer de signification, en donnant vie à d'ultérieures dynamiques.

Peut-être la multiplication des centres ne sera pas suffisante et il y aura un passage de la Polyarchie à la Panarchie, quand chaque individu singulier, et chaque petite communauté aspireront à devenir toujours plus protagonistes, centres florissants en pleine autonomie.

L'histoire avance jusqu'à la fin des temps.

 

Individus et Communautés du Monde entier

réveillez-vous, associez-vous et agissez.